Impermanence de l'espace

Impermanence de l’espace, une série de photographies noir et blanc qui s’appuie sur une philosophie japonaise ; Wabi/Sabi, le Wabi fait référence à la plénitude et la modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels et le Sabi, la sensation face aux vestiges dans lesquels on peut déceler le travail du temps ou des hommes.
Comme une sobriété paisible où l’on peut ressentir la richesse des espaces ordinaires.
Les carrières de pierres ont ce caractère et invitent à partager le temps écoulé de leur histoire. Ces vides construits du prélèvement de la matière incarnent un lieu de résilience. Il donne l’occasion au réel de laisser filtrer sa part de mystère, et à chacun l’opportunité d’écouter son ressenti pour tenter d’interpréter, à travers l’œil, une perception du temps.
Par-delà une apparente variété esthétique et une quête poétique, la photographie interroge notre propre place.

Écrits sur l’exposition «  Impermanence de l’espace de Misa ATO  »

Si l’on s’essaie à l’exercice de la parole, afin de circonscrire les photos de Misa ATO, on risque de se prendre à l’illusion qu’une analyse pût les contenir. Comme une culture qui tente de nous éduquer lorsqu’elle nous plie à ses énoncés.

Que l’on y prenne garde !

Bien sûr, lorsqu’on regarde ce travail, on ne peut pas ne pas reconnaître la précision des axiomes attendus  : l’organisation des éléments qui fluctuent autour d’un équilibre, des lumières qui concertent avec les formes, des perspectives qui se dressent pour qu’on suive leurs élancements, le point de vue de l’observateur… À ce premier constat, l’évidence vient que Misa ATO n’est pas à ses débuts. On devine sa patience à l’œuvre. Elle mûrit le moment photographique et l’on découvre son art qui rallie l’époque, le mouvement d’une culture.
On est ravi, voire peut-être même rassuré, de ressentir qu’à cette lecture l’impression nous inscrit dans le domaine de la représentation. C’est manifeste et la composition tient où que l’on regarde ! Misa ATO investit l’étude de ce lieu qui précise les assemblages du réel et l’on s’y sent bien.

Et puis un écho sourd, il nous tenaille et nous bouscule. L’espace s’ouvre, non pour répondre aux sens qui fouillent au plus loin les appréciations, mais plutôt comme une dissipation, ou un évasement de celui-ci. L’idée se fait jour que la substance fond, que les ressorts de la mémoire trahissent une porosité. On se prend à croire que l’on gagne à force de caver, et lorsque nos apprentissages butent, on perçoit que la vérité qui les sous-tend ne résiste pas.
Une énigme, enchâssée au cœur de la matière, évoque notre finitude. Je suis, nous sommes perdus sur ce vaisseau où nous guette le naufrage lorsqu’on sait que l’horizon s’aligne sur une vue de l’esprit et que nous en sommes les jouets. Je suis, nous sommes mortels et rien ne changera l’outrecuidance de cet aveu. Avant que l’oubli en fasse son affaire, comme un acide ronge ou mord les dogmes et les concepts qu’on assène pour occuper martialement une consistance qu’on n’a pas, mais qu’on entretient pour ne pas se sentir seuls et abandonnés, la mesure du temps nous imprègne à ses inclinations.

Un sentiment étrange vient du plus enfoui que l’on regarde. Le mensonge accomplirait-il son orbe, que nous nous voilons pour que jamais le visage ne montre son éternel attrait ? Quelle vérité tient, semble nous dire le photographe, lorsque les éléments qui valent pour preuves se dissolvent et que le flottement du sens croise des rives infondées ?

Ce n’est pourtant pas faute de soumettre nos yeux à la densité partout. Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur, nous rappelle Mallarmé. Et l’on perçoit des stèles, des reflets hypnotiques, des monolithes ou des profondeurs de noirs que rien ne soulage, sinon peut-être un profil ombré coincé entre deux aérolithes tombés d’un ciel sans écho.
Serait-ce les prémisses d’une folie sans égale que mon esprit discerne ou bien vois-je cette ouverture, un engramme qui s’arrime à de bien plus vives remontées ?

Les photographies de Misa ATO traduisent un antagonisme tandis qu’elles nous invitent à une ronde silencieuse où flotte une rengaine lancinante. Si je est je, semble signifier cette valse hallucinée, dès lors la mort partout éclot et nos démons assoiffés courent les vestiges où la pierre devient tombale et la civilisation caveau. S’égare-t-on, affirment les clichés, si l’on accepte que le tissu de toute chose perde comme les eaux d’une mère pour donner la vie ? En cet espace où l’on gagne à évider jusqu’au non-lieu, le sujet des photos de Misa ATO traite de l’absence de sujet. Mais l’existence n’est pas pour autant disparition ou raté, ni un simulacre ou un indu. L’impermanence ne nie pas le vivant ou bien le réfute, elle sèche les larmes de la mélancolie dès lors qu’on s’oblige à consentir qu’on ne tient rien qui dure. Il faut apprendre à résider avec ce trou au cœur de chaque chose, et accepter que des flux et des reflux sourdent de cette vacuité !

Olivier ZILLER 2023

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